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Vers un bras de fer juridico-lunaire ?

Le Starship HLS, une solution imparfaite pour retourner sur la Lune selon Blue Origin (Image : SpaceX).

En l’espace de 24h, Blue Origin puis Dynetics, les 2 perdants de la compétition NASA pour la réalisation de l’atterrisseur lunaire habité (HLS), ont adressé une protestation officielle auprès du Government Accountability Office (GAO), l’équivalent américain de la Cour des comptes. Les 2 finalistes contestent le choix de la NASA de retenir le Starship pour retourner sur la Lune.

Ce ne sont pas uniquement les difficultés techniques qui pourraient venir retarder le futur alunissage habité mais également une possible bataille juridique, indirecte, entre industriels du spatial américain. D’un côté, il y a Elon Musk et Space X dont le Starship, en version lunaire, a été retenu par l’agence spatiale américaine. De l’autre, il y a Jeff Bezos et Blue Origin qui réunissait une équipe industrielle composée de Lockeed Martin, Northrup Grumman et Draper autour de l’Integrated Lunar Vehicle (ILV). L’autre perdant de cette compétition initiée par la NASA début 2020 est la firme Dynetics, une division de Leidos, qui comptait parmi ses partenaires l’entreprise franco-italienne Thales Alenia Space. Il faut rappeler que le 16 avril dernier, la NASA a officialisé son choix en attribuant le contrat définitif d’un montant de 2,9 milliards à Space X. Blue Origin demandait 5,99 milliards. Dynetics n’a pas dévoilé le montant demandé. Dix jours plus tard, les 2 perdants décident finalement de répliquer par voie juridique et communiqués de presse interposés. La déclaration de Dynetics est brève : quelques lignes dans laquelle la société réaffirme le potentiel de son dispositif d’atterrissage lunaire. Elle indique également avoir déposé une requête auprès du GAO et qu’elle ne fera « aucun commentaire supplémentaire ». De son côté, Blue Origin est beaucoup plus virulente dans sa prise de position. Elle pense clairement que la solution retenue par l’agence spatiale américaine pour assurer la dépose d’un équipage mixte d’astronautes en 2024 n’est pas la bonne.

L’ILV de Blue Origin, une approche partiellement inspirée du LM d’Apollo (Image : Blue Origin).

Une concurrence éliminée

Dans un communiqué transmis à l’AFP, la société fondée par Jeff Bezos pointe plusieurs faits, à commencer les défauts dans le choix de l’autorité spatiale américaine. Selon Blue Origin, « la NASA a réalisé une acquisition imparfaite pour son programme et changé les règles du jeu à la dernière minute ». A la base, l’agence devait retenir 2 finalistes dans l’hypothèse où l’un serait défaillant. Blue Origin estime également que la NASA a « favorisé » l’offre de Space X au détriment des autres et « élimine toute possibilité de concurrence…et met également en danger le retour de l’Amérique sur la Lune en 2024… ». Sur le segment des vols habités américains, il est clair que, pour le moment, Space X domine les débats. Son Crew Dragon est à l’heure actuelle le seul vaisseau américain à assurer la desserte de l’ISS alors que le Starliner de Boeing se fait encore attendre. A supposer que l’objectif lunaire de 2024 soit tenu, Space X disposerait donc de 2 véhicules spatiaux pilotés opérationnels avec d’un côté le Crew Dragon et de l’autre son Starship. Ce qui pour ce dernier parait quand même encore incertain. Blue Origin tente d’ailleurs de démontrer le manque de maturité technologique du concept de la firme de Hawthrone. « Le vaisseau spatial n’a pas d’héritage de vol ni de validation des performances, et le développement des lanceurs est notoirement difficile et prend beaucoup plus de temps que prévu”, selon la plainte de la société disponible en ligne.

Le HLS version Dynetics, la solution la moins aboutie techniquement selon la NASA (Image : Dynetics).

Différentes approches

Depuis décembre, les prototypes du Starship ont réalisé 4 décollages qui ont permis de culminer jusqu’à environ une dizaine de km d’altitude. L’exemplaire SN11 est, pour l’instant, le seul à avoir réalisé un atterrissage en douceur le 30 mars dernier, pour exploser quelques instants plus tard à la suite d’une fuite de méthane. Si dans son approche, Space X est peut-être la plus novatrice, celle de Blue Origin demeure plus conventionnelle. Son ILV comporte un module de transfert, un étage de descente et un étage de remontée. A titre de comparaison, le LM de l’époque Apollo comportait 2 blocs : un pour la descente et un pour la remontée. Pour sa part, le Starship est un engin monobloc qui atterrit et redécolle, idem pour le HLS de Dynetics mais qui, selon les différentes évaluations de la NASA, paraissait le moins abouti. Une fois en orbite, le Starship doit toutefois être ravitaillé en carburant, une technique qui n’est pour le moment pas encore maitrisée. Les russes ont néanmoins réalisé une première tentative de ce genre entre le cargo Progress 1 et la station Saliout 6 dès 1978 à petite échelle.

La NASA a, à présent, pris acte des plaintes de Dynetics et Blue Origin mais a précisé qu’elle ne fera pas non plus de commentaire compte tenu du litige en cours. Selon la procédure, le GAO dispose de 100 jours pour faire connaitre sa décision pour chacune des 2 plaintes.

Antoine Meunier

©                                 La Chronique Spatiale (2021)

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